Ne pas tomber – Sylvain Saudan, le Skieur de l’Impossible

Une entrevue avec Sylvain Saudan, réalisée par Jean Pierre Banville.

A la fin des années 70, le présentateur d’une station de radio de la région de Québec annonçait que le Suisse Sylvain Saudan avait réussi la première descente en ski du Cap Diamant à Québec.

La première descente en ski sur une pente rocheuse du Cap Diamant ! Pas de neige !!

De ma chambre d’étudiant, de l’autre côté du fleuve, je m’en voulais déjà de n’avoir pu assister à la conférence que Sylvain Saudan avait donné à Québec lors de sa tournée canadienne pour présenter ses films, un voyage commandité par Salomon. Alors entendre que le Maître avait réussi une descente historique dans la falaise de schiste qui supporte la vieille ville avait provoqué en moi un profond désespoir ! Cette vision nouvelle, cette audace, alliée à une performance physique exceptionnelle me prouvait je n’étais qu’un skieur de bas étage !

J’ai suivi, au cours des années, la vie et les œuvres de Sylvain Saudan alors que mon karma m’amenait vers l’escalade et la montagne. Et, il y a quelques jours, je me suis finalement décidé à demander une entrevue à celui qui est considéré comme le père du ski extrême. Celui qui ne peut tomber !

Sylvain Saudan est né en Suisse en 1936 et il partage sa vie entre ce pays, Chamonix en France et le Cachemire. Il est moniteur de ski et guide de montagne. Et pour ceux qui pourraient penser qu’à 77 ans il soit retraité et bien assis devant un feu de bois, sachez que lors notre discussion téléphonique, il revenait des pentes où il avait donné des leçons. Il skie à tous les jours et passe quelques mois par année au Cachemire car il y possède une entreprise d’héliski. Il donne aussi des conférences partout dans le monde et est souvent invité à des émissions télévisées sur la montagne.

Skieur de l’impossible, père du ski extrême, ça veut dire quoi dans un monde où les snow-parks s’annoncent comme l’activité première des stations ? Dans un monde où l’on rêve d’Alaska et de backcountry ? Dans un monde où « l’Extrême » est une marchandise pour skieurs intermédiaires ?

Skieur de l’Impossible c’est, pour Saudan, commencer une carrière en 1962 en se pratiquant sur des pentes difficiles lors d’un voyage en Nouvelle Zélande pour se lancer en 1967 dans un couloir à 45 degrés du Rothorn près d’Arosa. Puis faire le Couloir Spencer à l’Aiguille de Blaitière, le Couloir Gervasutti, le Couloir Whymper – tous entre 50 et un peu plus de 55 degrés. Ensuite, en 1969, réaliser le Couloir Marinelli au Mont Rose : 2500 virages. Puis l’Eiger en 1970, le Mont Hood en 1971 de même que les Grandes Jorasses… 5h30 de descente et 2500 virages dans une pente que grimpent les alpinistes de pointe. La plus longue descente du Mont McKinley en 1972 par 45 degrés de pente. Puis le Nun Kun en Himalaya, une descente à 55 degrés après une montée par une nouvelle voie. En 1982, première descente intégrale d’un 8000 mètres, le Hidden Peak, avec un bivouac lors de la descente et une avalanche qui le précède. En 1986, il descend le mont Fuji… sur une pente de rochers, 1500 mètres de vertical !

Sans compter tous les autres sommets, tous les autres couloirs, tous les films promotionnels, toutes les journées de poudreuse, tous les cours, tous les accidents de montagne ou d’hélicoptère où des clients et amis sont morts.

C’est cela, être le skieur de l’impossible, le père du ski extrême… et c’est sans compter que le matériel utilisé serait considéré, aujourd’hui, comme antique sinon dangereux ! Et vous pouvez oublier le casque, même sur les rochers.

Voici un résumé de l’entrevue faite le 5 janvier…

Sylvain Saudan et Philippe Deparis
(photo : Philippe Deparis en entrevue avec Sylvain Saudan, gracieuseté de madame Christine Perrier)


Jean Pierre Banville : Mais pourquoi skier l’extrême ?

Sylvain Saudan : Pour se connaître soi-même et parce que je voulais être capable de skier en tout temps, tous les types de neige, sur tous les terrains. Même les couloirs réservés aux alpinistes…

Et on utilise quel matériel pour ce genre de descentes ?

Des skis Hart puis des skis Lamborghini, l’entreprise de Tolmezzo au Friul, qui a commercialisé des skis Sylvain Saudan considérés à l’époque comme les 4×4 du ski. Enfin, j’ai travaillé pendant 25 ans pour Salomon qui furent très généreux, me permettant de réaliser des films et de les montrer au monde.

On pense à quoi avant de se lancer, lorsqu’on regarde la pente entre les spatules de ses skis ?

On ne pense à rien sinon au premier virage ! C’est lui qui va déterminer toute la descente, son rythme. Et c’est ce rythme qui fait qu’on se rend en bas… car, dans cette affaire, la chute n’est jamais permise… il faut être maître de ses skis et avoir préparé la descente, l’avoir visualisée et surtout, il faut y croire. On n’a pas droit à l’erreur.

Quelle est la différence entre les skieurs des années 60 et 70 et les skieurs d’aujourd’hui ?

Les skieurs d’aujourd’hui ont des outils plus faciles à contrôler mais n’en font strictement rien. Ils portent une armure, un casque et, de ce fait, ils sont moins responsables. Ils possèdent moins de technique et skient en tout temps sur des pistes préparées alors la moindre surprise les affole. Et ils ont surtout beaucoup moins de respect pour les autres : plus personne ne fait attention ! Pour tout dire, je trouve que les snowboarders sont techniquement bien meilleurs sur les pistes, les free riders aussi.

Que penser de la marchandisation de l’activité ?

Chez les skieurs, il y a peu de marchandisation… les clips entre amis ne se vendent pas et les grosses expéditions sont le fait des entreprises qui commanditent pour leur publicité : c’est du business. C’est un peu différent pour le snowboard où il y a encore un espace pour se démarquer.

Pourquoi skier sur des pentes rocheuses ?

Parce que celui qui sait skier sur le rocher pourra skier toutes les conditions en tout temps. C’était mon but…

Et l’héliski au Cachemire ?

Je skie là-bas depuis des années et l’entreprise offre des prestations haut de gamme permettant à des amateurs de skier dans des conditions tout à fait exceptionnelles, rarement rencontrées ailleurs, tout en bénéficiant d’un confort inégalé.

C’est coûteux ?

C’est très coûteux mais c’est une expérience unique dont les amateurs se souviendront toute leur vie.

Votre dessert favori ?

La tarte tatin.

Votre boisson favorite ?

Le champagne Dom Ruinart.

Et cette série de conférence au Québec ?

En 1974 je crois… je dois vérifier… avec Salomon et j’ai montré mes films à Montréal, Québec, Trois-Rivières, Chicoutimi, Rivière du Loup et sans doute ailleurs… c’était très beau. Ce qui me fait souvenir de ma descente du Couloir Saudan à Blackcomb, la même année ??? On l’a débaptisé par la suite…

Et cette descente du Cap Diamant en ski ?

Jamais effectuée ! Je ne l’ai jamais fait, cette descente… tu me dis en avoir entendu parler sur les ondes d’une station de radio alors je crois que c’est sans doute la plaisanterie d’un commentateur qui n’avait plus rien à dire !


Voilà pour l’entrevue avec Sylvain Saudan, le Skieur de l’Impossible, rejoint chez lui à Chamonix. Il quitte pour une autre saison au Cachemire le 20 février alors, s’il y a des amateurs, de riches amateurs… sinon vous pouvez vous émerveiller en regardant certaines de ses descentes sur YouTube. Celle au Hidden Peak, sans casque et en pull de guide, sur une pente de 50 degrés, sur une neige parfaite, est un classique à ne pas manquer. Et relativisera vos descentes dans les pistes d’experts de votre station favorite !

Ah oui… la descente du Cap Diamant…

Jean Pierre Banville skie le Cap Diamant en 1982J’ai toujours été obsédé par cette fameuse descente qui, finalement, n’a jamais eu lieu.

Alors, en 1982, avec deux amis, nous avons stationné nos automobiles, des reliques, au pied du boulevard qui longe le cap et nous sommes montés à pied en arrachant la végétation poussive qui y survivait avec peine. Créant une petite plate-forme au sommet en cassant le schiste, nous avons chaussé nos skis puis, l’un après l’autre, nous sommes descendus.

Tomber n’était pas permis !

Et le pire, c’est que nous sommes remontés à quelques reprises : skier dans ces conditions, le risque, c’est addictif. Par le plus grand des hasards, un journaliste passait sur le boulevard et s’est arrêté pour poser des questions et prendre des photos. Ce qui fait que, le lendemain, ma photo ornait une page du quotidien local… et ma mère me téléphonait pour me dire que j’étais totalement fou et que je ne devais plus jamais refaire ça.

Si elle avait su ce qui allait suivre !

Je tiens à remercier Sylvain Saudan pour sa disponibilité et sa gentillesse. Merci à Philippe Deparis, journaliste à TV8 Mont Blanc qui m’a permis d’entrer en contact avec monsieur Saudan. Remerciements aussi à madame Christine Perrier qui gère les communications de Sylvain Saudan.
Un clin d’œil à Salomon qui a permis toute cette aventure. Et pour les amateurs, voici le lien pour le ski au Cachemire mais aussi celui d’un court vidéo sur le ski sur rocher :

Jean-Pierre BanvilleJean Pierre Banville est écrivain et chroniqueur touche-à-tout. Il s’intéresse à tout ce qui se rapporte à la montagne, à l’escalade et au surf des mers. Doté d’un humour burlesque et corrosif il est l’auteur de trois livres humoristiques sur l’escalade et le surf, parus chez Ibex Books :

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