Entrevue avec Jean Pierre Banville

Jean Pierre BanvilleJean Pierre Banville a de multiples casquettes. Grimpeur, équipeur, surfeur (selon la rumeur il aurait doublé Keanu Reeves dans Point Break), il est aussi chroniqueur dans la presse spécialisée et auteur de plusieurs livres parus chez Ibex Books.

En duplex depuis son château des Carpathes Québecoises, il a bien voulu se dévoiler dans une entrevue sans langue de bois. 🙂

Jean Pierre, bonjour ! Grâce à tes chroniques sur Internet et dans les magazines de montagne et d’escalade, les lecteurs commencent à te connaître. Est-ce que tu peux nous en dire un peu plus sur toi ? D’où viens-tu et quelles sont tes passions ?

Bonjour !

Si des lecteurs me connaissent, je les prie de communiquer le plus rapidement possible avec moi pour m’indiquer pourquoi la sorcière du Pays d’Oz m’a jeté un sort et comment je dois faire pour m’en débarrasser…

Pour ceux qui me connaissent moins, et bien je suis né il y a très longtemps et j’ai été abandonné par mes parents, découragés par ma ressemblance avec Achille Talon. On m’a envoyé comme pensionnaire dans un collège, espérant que la Main de Dieu m’attrape par le bras et me guide vers la vertu. Hélas, une forte libido et une attirance débridée vers les produits de la vigne et les pistes de ski ont réduit à néant les aspirations de mes géniteurs.
Suivirent des années rocambolesques, tournées vers la recherche de la connaissance intellectuelle et les pistes les plus abruptes. On peut dire que j’étais loin du modèle économique en vigueur !

Puis j’ai découvert l’escalade lors d’une fin de semaine amoureuse tout simplement parce ma copine durant ces cinq jours ne se levait jamais tôt le matin. J’ai rencontré, au déjeuner, des grimpeurs qui m’ont suggéré de les accompagner… Je venais de perdre ce qui me restait d’âme !
Au fil des années, j’ai continué à grimper et à skier mais je n’ai jamais atteint en escalade le niveau que j’avais en ski. Trop gros sans doute… Ce n’est pas faute d’avoir essayé car je me suis promené partout, grimpant sept jours par semaine, ce qui explique sans doute les douleurs actuelles dans mes bras et mes mains ! Par contre, j’ai rapidement découvert l’équipement de voies… c’est bien la seule chose où je suis habile manuellement !!! Pour les réparations et l’entretien d’une maison, inutile de vous adresser à moi : je suis nul ! Il n’y a qu’avec une perceuse que je me sens à l’aise… Bon, il y a bien les piolets mais c’est une autre histoire.

J’ai découvert le surf il y a six ans lors d’une semaine de vacances. Comme prévu, je suis devenu accro ce qui signifie que je dois maintenant partager mon temps entre l’escalade, le ski et le longboard. Je ne regrette rien car ces sports se complètent très bien.

JPB Surf

Depuis vingt-cinq ans je travaille – car je dois bien payer mes voyages – comme directeur des approvisionnements pour des entreprises de haute technologie, petites et grosses.
Je suis végétarien, veuf et j’ai un fils de quinze ans qui pense pouvoir me rendre fou. Il ne se doute pas qu’il y a longtemps que je suis devenu totalement déjanté du ciboulot !

J’aime le vin blanc, la vitesse en ski, les conversations intelligentes, la crème glacée et les biscuits, la littérature et regarder les filles. Dans l’ordre et dans le désordre…

Bien que vivant au Québec tu sembles très bien connaître le monde de la grimpe en Europe et en particulier en France. Tu sembles aussi un familier de nos falaises. Comment fais-tu pour être si au courant ? As-tu toi-même vécu et grimpé sur le Vieux Continent ?

Ah oui… né pour ma plus grande peine ici, dans la basse-ville de Québec, je suis pourtant un francophile comme on n’en rencontre peu. En fait, de culture, je suis un Classiciste et je suis resté avec l’image de la France des Lumières, de la France rayonnante, du français comme langue de la science et de la culture. Non, non, je ne suis pas passéiste… je crois que la France a amené la Raison au monde et qu’elle a une place à prendre. Je déplore l’effacement du pays depuis les années 1960, c’est tout dire !

De ce fait, rapidement j’ai tourné les yeux vers la France lorsque j’ai commencé à grimper. Étrange car je demeure à deux heures de la frontière américaine et, à cette époque, on ne parlait que du Yosemite et les gens rêvaient des « 50 classics climbs of N.A ». Moi je tentais de mettre le main sur toute les informations à propos des Alpes et des falaises qu’on développait. Au fil du temps, grâce à internet et aux médias spécialisés, j’ai pu prendre contact avec des grimpeurs de France. Ma situation financière s’étant améliorée, j’ai voyagé et visité des sites… pas que je sois riche mais je connais bien mes priorités. L’escalade et les grimpeurs, c’est comme de la poussière sur le plancher : après un certain temps il se produit un phénomène de concentration et bientôt vous avez de grosses boules de poils qui roulent dans le salon !

J’ai passé un certain temps en Italie (une Italienne…), travaillé pour une multinationale française et j’ai effectué de très nombreux voyages d’affaire et d’agrément en Europe… je traine toujours mon matériel avec moi ! Certains étaient des périples, je vous le dis ! Je vais sur le continent en moyenne une fois par année… mais je lis quotidiennement tout ce qui paraît sur le web : escalade, montagne, politique, société… il n’y a que le sport qui n’a aucun intérêt pour moi !

Il y aurait tellement à dire… si vous avez des questions spécifiques, expédiez-les ! Je réponds à tout le monde avec un plaisir certain.

NDLR : à lire absolument, la chronique hilarante de PurgeMag sur l’une des visites de Jean Pierre en France.

Ces dernières années tu as aussi écrits plusieurs livres, parus chez Ibex Books, autour de tes passions et toujours avec un humour très caractéristique, un peu grinçant et absurde. Peux-tu nous présenter tes livres ? Quelles sont tes sources d’inspiration et qu’est-ce qui t’a poussé à devenir écrivain ?

L’écriture, c’est pour moi un exutoire nécessaire. J’évacue mon stress en écrivant. Et je réinvente le monde avec plaisir car la réalité, quelquefois, est plus stupide que tout ce que je pourrais imaginer. Je lis tout ce que je peux trouver sur la stupidité, les décisions aberrantes, les erreurs incompréhensibles, l’irrationnel chez l’humain. Et ce que je vois est bien moins drôle que ce que je peux imaginer pour ensuite le mettre sur papier ! Car malgré l’illusion donnée par un faciès assez monolithique, j’adore rire et je ne peux imaginer écrire quelque chose qui ne soit pas humoristique. D’un humour absurde qui est, lui, beaucoup plus enlevant que l’absurde de la réalité. Je pourrais écrire un livre totalement effrayant se déroulant dans un asile psychiatrique – j’ai du matériel – mais ça ne serait pas drôle et ce serait loin de mes passions.

J’ai commencé à écrire pour Grimper, le magazine. Oui… des chroniques. Puis j’ai soumis une histoire de meurtre et de vengeance qui fut acceptée. Puis une suite… acceptée encore une fois. Puis des histoires particulièrement déjantées. J’ai transféré mes chroniques sur le web et je me suis mis à écrire de plus en plus d’histoires tout en essayant de générer un intérêt dans la communauté. Qui se souvient de mon concours littéraire, le Ero’scalade ? Il y eut trois concours de nouvelles de ce genre : allier sexe et escalade ! Et puis le monde a changé : les gens sont devenus plus « salle » et je me retrouvais sans trop d’attaches car le monde des salles est centré sur lui-même et ne participe que peu à la culture « grimpe ». Tout cela en moins de deux ans… Au même moment j’avais des problèmes familiaux : ma blonde était gravement malade et j’ai perdu mon emploi à deux reprises à cause de rachats d’entreprises.

Ibex Books et Alex m’ont offert de publier un livre suite à une collaboration au recueil de Camptocamp. Ce fut donc « Chroniques Paléoludiques », un assemblage d’histoires courtes parfaites pour le sac à dos. Ensuite j’ai affiné mon personnage favori, Dollar Falot, et Ibex a sorti « La Conquête des Plateaux », les aventures de Falot à Cavaillon. Délirant, vraiment, et ce n’est pas parce que c’est moi qui l’ait écrit.

J’avais alors le choix : expédier Falot en montagne ou l’envoyer à la mer… Ma blonde étant décédée quelques mois auparavant, j’ai décidé de l’envoyer à la mer parce que c’est plus ludique. J’étais particulièrement dépressif et l’écriture de « Des Rails et Dérives » m’a permis de me garder la tête hors de l’eau. C’est tellement improbable que le livre mériterait son propre film. A voir les résultats du Festival de Cannes, je crois que le monde mérite un film de Falot !!!

Puis cette année, n’ayant pas de travail et tout le temps pour skier, je me suis commis avec « Le Secret de l’Éminence Grise », un livre qui se veut différent. Une intrigue suivie, des personnages crédibles – sans doute parce que réels – un lieu qui est un personnage en soi, une intrigue historique pas si loin de la vérité historique… bref, si « Des Rails et Dérives » est le film parfait pour Cannes, « Le Secret de l’Eminence Grise » serait le film idéal pour les Oscars !

Tiens, on va organiser un petit concours… Quels acteurs verriez-vous pour interpréter les rôles principaux ? Je vous le demande ! Ensuite, je vais les contacter…
Je suis sérieux… les deux films tirés des deux bouquins… quels acteurs pourraient interpréter les personnages ?
J’ai terriblement hâte de voir qui pourrait interpréter Falot !

Pour le moment, je termine la suite de « Le Secret de l’Eminence Grise » dont l’intrigue se passe à Clécy un mois après la fermeture de la station. Un autre polar burlesque où on verra un peu de libertinage, on parlera de loups, de chefs d’entreprises, d’espions, de café et de grimpe…

Ensuite ?
Je ne sais trop !
On retourne en montagne ? Ou on reste en Normandie ?
J’aimerais rester dans l’improbable !

Tes personnages ont une personnalité très travaillée, de qui t’inspires-tu pour les créer ? Apparais-tu toi-même dans certains de tes livres ? Une de tes marques de fabrique est leurs noms souvent très inhabituels et rigolos ? Un peu comme les jurons du capitaine Haddock. Comment fais-tu pour nous surprendre à chaque fois ?

Mes personnages ? Ils sont un savant amalgame de personnages réels, de grimpeurs, que j’ai rencontrés, côtoyés, aimés ou détestés. Parce que, vous le savez, le monde de la Montagne rassemble un troupeau pour le moins bizarre : on y rencontre une foule bigarrée allant de l’obsessif misanthrope à l’exubérant münchhausénien (du Baron de Münchhausen qui inventait ses propres péripéties les unes toutes plus incroyables que les autres). Regardez autour de vous…

Et je ne suis pas mieux, croyez-moi !

Donc mes personnages vivent dans un monde parallèle et s’en portent très bien. J’essaie de ne pas trop les décrire physiquement, laissant aux lecteurs le soin d’imaginer leur look au vu de leurs péripéties. Certains tel Gennarino dans « Le Secret de l’Eminence Grise » ont leur propre personnalité et je n’ai rien à inventer.

Personnages de la Conquête des Plateaux (illustration Ben Bert)

Quant aux noms… je dois avoir un don ! En fait j’écris sur une feuille plusieurs noms et prénoms et je les prononce à répétition (authentique) pour trouver ce qui sonne le mieux. Ensuite, j’affuble les personnages de ces noms bizarres et je modèle certaines caractéristiques autour de la signification.
Mais je crois avoir un don… mais vous seriez surpris du temps que ça prend pour trouver tous les noms dans mes romans !

Quant à me mettre en scène, j’ai tenté de le faire dans les deux premières histoires du Grimper. Les histoires de vengeance. Et puis j’ai fait réapparaître le gars dans deux aventures de Falot mais c’était un cul de sac. Je dois être un cul de sac dans l’évolution (des personnages…).

Ton dernier livre, Le Secret de l’Eminence Grise, vient de paraître. Tu le décris volontiers comme un « polar burlesque », style assez inhabituel pour les lecteurs. De quoi s’agit-il ?

JPB et ses skis (de) géantsPeu de gens savent que j’ai pas mal tout fait en ski alpin, dans une station. Depuis être patrouilleur jusqu’à diriger la station en semaine lorsque les responsables étaient absents. Moniteur, directeur d’école de ski, responsable de remontées… tout je vous dis ! Eh, oui, j’ai déjà été président de la Fédération Nationale de l’Escalade et de la Montagne au Canada… un panier de crabes de la plus belle eau… Mais c’est autre chose.

Je voulais écrire sur une station de ski et y allier ski alpin, vérité historique, escalade, vols et crimes contre la personne. Je désirais un livre hilarant où le lecteur trouverait à rire d’un vol de relique, d’un meurtre de clerc, d’une disparition, d’un enlèvement et même – sujet chaud – de la réintroduction du loup. Et le lecteur devait pouvoir y retrouver toutes les bizarreries qu’un gestionnaire de station peut rencontrer durant une saison, même courte comme celle de Clécy.

Le Polar Burlesque existe en langue anglaise mais est peu connu en français. Je vous recommande Tim Dorsey et Carl Hiaasen, traduits dans notre langue mais encore plus savoureux pour ceux qui lisent en anglais. Ce sont des auteurs floridiens totalement déjantés – mais qui ne grimpent pas – et ils ont un succès fou aux USA. Fforde en Angleterre, de même. J’ai tenté de réintroduire l’espèce, comme on l’a fait pour les ours dans les Pyrénées !

En fait, c’est repousser les limites de la réalité crédible dans une livre qui serait, sans cette pointe d’absurde risible, considéré comme un « mystère » pur et simple. Rien de « pur et simple » dans « Le Secret de l’Éminence Grise » !!!

Je trouve que le format permet des pirouettes incroyables et j’entends bien continuer dans cette veine.

Est-ce que tu as d’autres projets d’écriture ?

Je vais terminer, dans les prochaines semaines, la suite du « Secret de l’Éminence Grise » dans laquelle vous pourrez rencontrer Julien de Menu-Fretin et Norbert Podaire.
J’ai aussi en train un petit pastiche de Sherlock Holmes, une nouvelles drolatique de quelques pages qui sera à lire sur Ibex.
Ensuite ? Je ne sais pas… Un autre roman ?
Un polar burlesque qui se passerait dans les corridors d’une fédération de sport trop bien connue ? Que de tentatives de meurtres en perspective !!
Une idée à approfondir…

Merci à Jean Pierre de s’être prêté au jeu ! Retrouvez ses ouvrages parus chez Ibex Books :

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