Extrait du livre Abécédaire de l’Escalade, par Marco Troussier :
La voie qui porte ce nom est située sur la falaise de Céüze, elle possède un destin singulier. Rappel des faits. Jean-Christophe Lafaille – pas vraiment un inconnu en escalade puisqu’il a aussi gravi un 8a + en solo –, équipe en 1989 cette ligne magique sur une barre d’un rocher autrefois jugé ingrimpable faute de reliefs évidents. Jean-Christophe est natif de Gap. Il a fait ses armes sur les calcaires alentour. Sa passion pour le rocher s’est décidée très tôt avec en ligne de mire presque permanente cette barre qui doit attendre l’émergence du libre pour faire son entrée sur la scène de l’escalade. Ce « little big man » de moins d’un mètre soixante ne résiste pas à laisser sa marque sur les ventres de la Cascade et, en cheminant vers la droite, il a sans doute aperçu une ligne possible. Mais à Céüze plus qu’ailleurs, les apparences sont trompeuses. Jean-Christophe devait bien le savoir, lui qui avait fréquenté la falaise plus qu’aucun autre gapençais. Il suffit de deux mètres dépourvus de prises pour que la potentialité cesse d’exister tout à fait. Pourtant la ligne existe, elle est futuriste, c’est une certitude. Il faut se souvenir que la difficulté maximale atteinte par des grimpeurs est alors 8c ou 8c+. Ils ne sont qu’une poignée à avoir vaincu de tels obstacles. Céüze, n’est pas encore la falaise à la renommée mondiale qu’elle ne tardera pas à devenir. Les murs raides et d’apparence lisse s’équipent peu à peu.
À quel moment Jean-Christophe a-t-il lâché le morceau pour tenter de la gravir le premier ? On ne le sait pas. Alors qu’il prenait peu à peu le chemin de l’altitude, de l’alpinisme et des hivernales, cette coulée bleue est sans doute restée dans un coin de son cerveau. Quand on a équipé une telle ligne, préservée de toute impureté, une voie qui s’impose d’elle-même, il est probable que les doigts autant que le cerveau peuvent pousser un grimpeur de ce talent à tenter une fois de plus d’y revenir. J’imagine que pour Jean-Christophe tous les chemins menaient à Céüze et toutes ses pensées de grimpeur, vers Biographie.
Il faut attendre 7 ans pour qu’une partie de la voie soit gravie par Arnaud Petit. Ce dernier a placé un relais « intermédiaire » en 1995. Lui aussi envoûté par la pureté de la ligne n’aura pu s’empêcher d’y jeter son énergie. Pour la première partie, annoncée 8c+, une motivation exceptionnelle est requise. L’ascèse que l’on consent pour atteindre un tel but est coûteuse. Certains prétendent que ce qui compte est plus le chemin que le but. Mais les règles de l’escalade ne souffrent pas de demi-mesure. Un gouffre sépare le succès de l’échec. Arnaud pose le premier jalon de ce qui va construire la légende de Biographie.
Entre temps la falaise est devenue une destination « mondiale ». Elle focalise l’attention de la planète grimpe et durant l’été ce n’est plus Céüze mais Babel.
En 1997 Chris Sharma réalise la première partie, imité par Sylvain Millet en 1999. Il faudra encore deux ans et deux visites assidues en France à Chris Sharma pour venir à bout en 2001 de ce rébus retors retournant les doigts.
Chris Sharma n’est pas un inconnu. À 14 ans il remporte le championnat américain de bloc. Un an plus tard il gravit le premier – alors le seul 8c+ – des Etats-Unis. Cet itinéraire n’est rien d’autre que Just Do It, gravi par Jibé Tribout lors d’une de ses nombreuses visites à Smith Rock, la patrie accueillante des voies sur « spits ». Puis Chris Sharma va connaître la célébrité dans le monde de l’escalade. Blocs extrêmes sur tous les continents. Voies extrêmes qu’il répète ou équipe et enchaîne avec une prédilection pour le très raide, le très athlétique et finalement la terre espagnole. Il franchit le mythique cap du 9b ce qui le place en tête des virtuoses. Affaire à suivre.
Retrouvez ce texte dans Abécédaire de l’Escalade.
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