Des sports extrêmes… en Valbonnais (Interview de Thierry Clavel)

Nous reproduisons ici une interview de Thierry Clavel, auteur de Moments à Part – Carnets d’un skieur de pente raide et de La Tête dans les Etoiles, parue dans la G@zette du Valbonnais de septembre 2014. Merci à Gilbert Jacquet pour son aimable autorisation !

Ski de pente raide à l’Olan (couloir occidental)

Ski de pente raide à l’Olan (couloir occidental)

Cascadeur de glace, alpiniste, escaladeur, skieur de pente raide, parapentiste… et admirateur de Monfils, tu as failli ne pas être un sportif. « Il y a seulement trois sports : la tauromachie, la course automobile et l’alpinisme ; tous les autres ne sont rien que des jeux d’enfants » aurait dit Hemingway. Qu’en penses-tu ?

Ouf, c’est passé près ! Bon, la vision d’Hemingway est selon moi dépassée, datant d’un autre âge. Il définit ainsi plutôt la « virilité » du gladiateur, ce qui ne correspond pas à ma façon d’être et d’agir…

Pour ma part, je définirais le sport comme toute activité impliquant le corps, réclamant technique et mental, dans laquelle l’individu cherche à s’accomplir, progresser, voire à se dépasser… (Il y a donc un bien plus vaste choix que les propositions d’Hemingway)

C’est ce que j’ai aimé dans le tennis (de Monfils) : pratiqué en compétition, ce sport présente de multiples facettes – physique, technique, tactique, mental – et donc de ce fait un grand intérêt. L’intense concentration exigée, le fait que rien ne soit joué jusqu’au dernier point présente ainsi en ce sens des similitudes avec les activités alpines.

Une seconde chose m’interpelle dans cette citation d’Hemingway : il s’agit de la référence – négative – aux jeux d’enfants. L’enfance est à mon avis une période bénie, incroyable en terme de quantité d’apprentissage. L’enfant est un explorateur, un expérimentateur et un découvreur incroyable. Toujours motivé pour tenter de nouvelles choses, toujours optimiste, allant de l’avant. Ainsi, je pense que conserver un regard d’enfant serait bien plus une qualité qu’autre chose. Je reste ainsi toujours très joueur !

Ma pratique de la montagne semblerait être une espèce de synthèse entre une longue expérience, une analyse, un sérieux et une recherche de maîtrise d’une part, et d’autre part cet élan, cette soif de découverte, une quête à la fois aventureuse, ludique, spirituelle et initiatique.

Moments à Part

Couverture de Moments à Part

La Tête dans les Etoiles

Couverture de La Tête dans les Etoiles

Les sports de montagne sont tous des sports extrêmes et le vertige de l’abîme, à la sortie des tunnels sur le sentier des Pères me donne la chair de poule. En relatant tes escapades adolescentes, n’as-tu pas peur de faire des émules chez nos ados en culottes courtes ?

Il y a effectivement une relation au risque dans les activités alpines que sont l’escalade, le parapente, la cascade, l’alpinisme et le ski de pente raide.

Je citerais à nouveau, comme dans mes ouvrages, Søren Kierkegaard et René Char. Le premier dit :

« Oser c’est perdre pied momentanément. Ne pas oser c’est se perdre soi-même. »

et le second, dans une formule un peu définitive, je vous le concède :

« Il n’y a que deux conduites avec la vie : ou on la rêve, ou on l’accomplit. »

Les différentes activités et expériences vécues tout au long de ma vie font ce que je suis aujourd’hui. En relatant celles-ci, j’ai essentiellement voulu au départ communiquer à mes proches, laisser une sorte d’héritage sur une partie de ma vie qui n’appartenait jusqu’alors qu’à moi-même.

Adolescent, je dévorais les livres des Rébuffat, Desmaison, Terray et autre Bonatti… Ils ont nourri mon imaginaire et initié mon désir de montagne. Il y avait une dimension mythique, presque mythologique dans ces ouvrages et la façon de représenter la montagne et l’alpiniste.

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Oser c’est perdre pied momentanément, ne pas oser c’est se perdre soi-même (S. Kierkegaard)

Mon écriture me paraît différente. J’ai voulu présenter mon expérience sans faux-semblants, afin de faire sentir tout le paradoxe qu’il y a à fréquenter les « abîmes » dont tu parles. Ainsi, la proximité de la mort est une réalité palpable dans mes écrits. Je n’ai pas cherché à faire l’apologie du risque même si je crois personnellement à l’instar des deux auteurs cités plus haut à l’intérêt d’en prendre dans la vie, quels qu’ils soient (pas nécessairement en montagne).

Un adolescent qui lirait mes livres et souhaiterait s’essayer à la montagne percevrait sans doute – je l’espère ! – la complexité du milieu, le risque lié à l’inexpérience, la fougue ou une trop grande audace. Je conseillerais ainsi au jeune attiré par les activités alpines de débuter entouré de personnes expérimentées, par exemple dans le cadre d’un club, afin d’éviter les mésaventures racontées dans Moments à Part.

Et pour terminer, je dirais que toute pratique sportive – encore plus si la dimension risque est présente – peut se révéler une excellente école de la vie !

Tu as été un formateur et un animateur au Tennis Club Valbonnais et maintenant tu travailles sans filet. Seuls quelques initiés connaissaient tes « valheureux » exploits en montagne sans vache. De la discrétion extrême à cette notoriété mettant dans la lumière le talent de l’écrivain, il y a sans doute un sentier secret ?

Chacun d’entre nous possède plusieurs casquettes (j’ai encore d’autres jardins secrets !…).
En fait, je pense être allé me chercher en montagne. Je suis parti à la rencontre de moi-même, pour moi-même, sans chercher à mettre en avant.

Ce faisant, j’ai vécu ces dernières années des aventures très – trop ? – fortes qui ont donné l’impulsion initiale me propulsant vers l’écriture, à l’origine pour moi-même à nouveau et un cercle restreint. Prenant rapidement goût à la chose, j’ai alors cherché à donner le meilleur dans cette tâche, l’idée d’être publié apparaissant ainsi simultanément à l’acte d’écriture.

D’ailleurs, l’écriture elle-même est une aventure, un risque et une quête de connaissance de soi…

On qualifie la dangerosité des pentes fréquentées à ski par un degré d’exposition, sur une échelle de 1 à 4. J’ai très vite ressenti la même chose – une peur, une appréhension, face à cette autre exposition… – à l’idée de rendre publics mes écrits, mais c’était une nouvelle aventure à tenter !

Un « sentier secret » ?

Le secret est sans doute dans la confiance qu’il faut s’accorder à soi-même. J’ai compris dans la pratique sportive qu’il fallait prendre pleinement conscience de ses potentialités si l’on voulait avoir une chance de réussir quelque chose, que les limites étaient en fait en nous, ce qui m’a apporté ainsi un peu plus de confiance en moi.

Chacun peut écrire !

Il est clair que le « sentier » menant jusqu’à l’édition d’un livre n’est pas aisé ; il y a aussi la voie de l’auto-édition, qui de nos jours est facilitée par l’usage du numérique. J’ai pour ma part eu la chance, au terme d’un long chemin de croix, de rencontrer un petit éditeur spécialisé passionné de montagne (Ibex Books), et qui a sans doute été touché par mon écriture.

Peux-tu nous conter deux de tes exploits à l’Olan, ce géant de granite qui les a salués avec son chapeau de gneiss, une roche métamorphique qui fait encore les beaux jours du Carré magique de Valbonnais ?

Avec plaisir ! Il faut dire – et je pense que tu as saisi cela – que l’Olan tient une place importante dans mon imaginaire de montagnard. C’est la montagne phare du fond de notre vallée !

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L’Olan et son fin couloir occidental

Je commencerais par une très belle course contée dans Moments à Part. Il s’agit d’une première à skis, mais aussi de la première aventure avec Olivier Salésiani, un autre instit passionné de montagne. Juste à droite des sommets de l’Olan, d’une jolie brèche sans nom descend donc un couloir qu’Olivier avait déjà tenté seul, sans succès, butant au pied d’un ressaut rocheux… Nous retentions donc notre chance à deux, comptant sur la force produite par l’esprit de cordée. Nous nous retrouvâmes donc au pied de ce ressaut rocheux, effectivement peu engageant. Or, juste à sa gauche se trouvait une rampe de glace pouvant aussi permettre l’accès au couloir sommital…

Nous ne tergiversons pas davantage et je m’élance à l’assaut de ce passage de glace, habitué à la fréquentation de ceux-ci.

Ayant franchi avec succès cette difficulté, reste la longue remontée du couloir, nous permettant à son sommet de découvrir la vue sur le Valgaudemar, la face sud-ouest de l’Olan, et, nous retournant, de saisir toute la particularité due à notre posture haut-perchée au-dessus du vallon de Font Turbat, sur une brèche battue par les vents, n’ayant encore vu aucun bipède y poser ses spatules…

Je ne dévoile pas davantage de cette course, descente au cours de laquelle nous tenterons quelque chose d’audacieux… La chance nous aura-t-elle souri ?

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L’arête Escarra à l’Olan

Dans mon second ouvrage, La Tête dans les Etoiles, je fais part de cette longue approche du géant en été, version alpinisme. Cela commence par une course qui devait être assez aisée, du moins sur le papier, à l’Aiguille d’Olan, et où certains renseignements manquants nous causeront bien des déboires : erreur d’itinéraire, manque de matériel, énorme retard sur l’horaire prévu… Une galère comme chaque amateur de montagne a vécu au moins une fois dans sa vie… Cela se poursuit sur l’échine même de l’Olan, où à force d’opiniâtreté nous réussirons à caresser la cime de cette montagne incroyable, dans une superbe traversée haut perchée entre Valjouffrey et Valgaudemar…

J’aurais aussi pu parler de cette tentative en hiver au couloir occidental, ce trait de 600 mètres qui raye obliquement la grande face de l’Olan, et où, dès le premier ressaut en glace, un éclat me frappe l’œil, rendant aussitôt ma vue trouble… Ou alors juste à côté, de cette tentative de première au Pic Turbat, en solitaire, dans une face gorgée de poudreuse et défendue par une barre de falaises… Mais je n’en dis pas plus !

Ah si ! Seulement un grand merci à Gilbert de me donner ainsi la parole avec des questions bien ficelées, et que l’on peut trouver mes livres à l’Office du Tourisme de Valbonnais, chez les libraires de la Mure, ou directement auprès de l’auteur. Et aussi que de nouveaux écrits sont en préparation : un Abécédaire du Ski-Alpinisme, pour l’hiver prochain, et… affaire à suivre !

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